Un petit souvenir d’audience, les circonstances ont été changées,les personnages aussi afin qu’ils ne se reconnaissent pas et dans le respect du secret professionnel.

J’étais de permanence pénale, ma deuxième permanence. Je me souviens qu’il faisait chaud, nous étions en été, mon premier été d’avocate, d’auxiliaire de justice…

Je devais défendre deux prévenus impliqués dans une sombre affaire de cambriolage. En réalité, ils étaient trois, mais les deux que je défendais accablaient le troisième qui était défendu par un Confrère à cause de ce conflit d’intérêt.

J’étais jeune et innocente et je croyais ce que l’on me confiait, je ne soupçonnais pas qu’un prévenu pouvait mentir et que souvent les prévenus mentent, ce n’est que plus tard que j’ai compris que la parole de nos clients n’était pas celle de l’évangile.

Je suis allée m’entretenir avec mes deux clients qui m’expliquèrent qu’ils n’avaient rien avoir avec ce cambriolage. Il est vrai qu’il ressortait du dossier qu’ils n’avaient pas été pris sur le fait, mais dans la rue, dans un quartier bien connu de Bordeaux où l’on peut admirer une flèche merveilleuse et où les gitans donnent des motos et où les portables se trouvent dans la rue, un quartier qui porte mon prénom. Un quartier que j’affectionne malgré sa mauvaise réputation.

Le troisième prévenu que mes clients accusaient, portait un sac poubelle qui contenait une mini-chaîne et des CD qui avaient été volés quelques heures auparavant dans un appartement de ce même quartier.

Mes clients ne faisaient que l’accompagner et l’avaient accompagné jusqu’au lieu du larcin car il leur devait de l’argent pour l’achat d’un chien et leur a dit qu’il allait chercher ce qu’il leur devait dans cet appartement.

J’ai plaidé la relaxe au bénéfice du doute, j’ai relaté cette histoire de chien avec la conviction d’une débutante, la conviction d’une jeune et innocente avocate de trois semaines (comme on dit dans notre jargon).

Mon Confrère, défenseur de l’affreux endetté, qui a cambriolé seul cet appartement, a plaidé la pression, la peur des représailles parce qu’évidemment ce jeune surendetté a confirmé la version de ses créanciers !

Le Tribunal Correctionnel était composé de sa formation estivale et d’un magistrat réputé pour donner des relaxes facilement. Un magistrat avec qui, j’ai obtenu la majorité de mes relaxes.

Je suis restée pour le délibéré, cette histoire me tenait à coeur, je savais qu’elle n’était pas claire et je savais après avoir plaidé que la version de mes prévenus n’était peut-être pas la vérité, mais je voulais entendre le délibéré. J’étais impatiente de savoir si je pouvais être convaincante, si j’avais semé le doute… et si la loi allait être respectée.

Les juges sont revenus et ont annoncé la décision : RELAXE au bénéfice du doute pour mes deux clients, RELAXE, ma deuxième relaxe avec mes quelques semaines de barre (et non de bars ..)

Je suis allée voir mes clients et j’ai suivi les conseils d’un Confrère plus ancien et pénaliste qui m’a expliqué qu’il fallait que je fidélise la clientèle qui a été satisfaite de mon travail et qui m’a vivement invité à solliciter des honoraires pour ce très bon résultat.

Ce n’était pas dans mes habitudes, je me contentais généralement du bon résultat et j’écrivais une lettre au prévenu qui me revenait souvent car il n’habitait plus à l’adresse indiquée ( le fameux NPAI).

Pour une fois, j’ai changé mes habitudes et je suis allée voir un des prévenus qui sautait de joie n’y croyait pas et n’arrêtait pas de répéter RELAXE, RELAXE, ce n’est pas possible Maître, RELAXE et dire que je l’ai fait !

Il a ajouté: » je vais vous payer Maître, personne n’a jamais obtenu une relaxe pour moi, combien vous voulez, 500 ? »

Je répondais, oui… après tout pour une fois que le client proposait.

« Bon OK, je vous donne mon numéro et je vous apporte l’argent la semaine prochaine. »

Il me donna un numéro faux bien entendu et je l’ai revu, quelques mois plus tard, comparaître libre pour une autre infraction et devant ce même Tribunal.Je lui ai dit que j’attendais toujours son règlement, il m’a répondu avec un sourire :

Maître, je sais que je vous dois de l’argent, mais vous saviez que je vous paierais pas …. je suis un voyou.