Cet été, un mot est apparu subitement, un néologisme affreux : les tracances (mélange de deux mots : travail et vacances). Il s’agit de télétravail dans un lieu hors de son domicile dans un lieu habituellement destiné aux vacances. Un mot inventé par les communicants, dans le vent du « en même temps ». en même temps, on peut travailler et en même temps être en vacances.

Le but :

  • Le premier but est d’effacer toute frontière entre la vie professionnelle et la vie privée et valoriser la connexion permanente de n’importe quel lieu, paradisiaque si possible
  • Le deuxième est de faire croire que télétravailler dans un lieu destiné aux vacances ce n’est pas du travail
  • Un troisième but existe sans doute, celui d’un désir caché que le salarié en tracances avant ou après ses vacances travaille durant ses vacances ne souhaitant pas avoir trop de travail durant ses tracances .

Ce désir de connexion permanente est à contre-courant avec la volonté du législateur de lutter contre les risques psychosociaux tel que le burn-out dû souvent à une connexion permanente et déraisonnable, connexion à son travail par téléphone, mail et aujourd’hui par visioconférence.

En effet en 2016, la loi a introduit dans le code du travail, le droit à la déconnexion.

Qu’est ce que ce droit à la déconnexion ? Quelles sont les obligations de l’employeur , les modalités de mise en œuvre de ce droit? Ce droit est-il sanctionné  ?

Qu’est ce que le droit à la déconnexion ?

Il n’existe pas de définition spécifique dans le code du travail. Le droit à la déconnexion est intégré dans une sous-section sur la qualité de vie et conditions de travail article L2242-17 du code du travail

Il peut se définir comme un droit pour le salarié de ne pas être joignable en dehors de son temps de travail par mail, téléphone et tous les moyens de communication: Le but: assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.

Quelles sont les modalités de mise en œuvre du droit à la déconnexion ?

Il faut distinguer les entreprises de plus de 50 salariés de celles qui ont moins de 50 salariés.

  • Pour les entreprises de plus de 50 salariés, le droit à la déconnexion doit être abordé lors de la négociation annuelle obligatoire avec les syndicats en vue d’un accord.

 

  • Pour les entreprises de moins de 50 salariés, pas d’obligation de négocier un accord, le salarié devra être informé de son droit à la déconnexion par une charte ou tout autre moyen.

 

Le droit à la déconnexion est-il sanctionné ?  

Quelles sont les sanctions si les entreprises ne mettent pas en place le droit à la déconnexion ?

Les sanctions légales du non-respect du droit à la déconnexion.

Il n’existe pas de sanctions pour les entreprises de moins de 50 salariés qui ne mettraient pas en place le droit à la déconnexion par une charte ou un autre moyen.

Pour les entreprises de plus de 50 salariés pas de sanctions non plus si elles ne mettent pas en place un accord. En revanche, elles pourront être sanctionnées pour ne pas avoir mener les négociations sur la qualité de vie au travail.

Ces sanctions sont administratives et pénales 1 an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende (article L 2242-1 du code du travail et infraction du délit d’entrave).

Les sanctions judiciaires du droit à la déconnexion.

Le droit à la déconnexion a été introduit dans la loi pour préserver la santé du salarié. Aussi, la plupart des demandes en justice pour non-respect du droit à la déconnexion est fondé sur le non-respect de l’employeur de préserver la santé et la sécurité du salarié.

En examinant les décisions des Cours d’appel, il faut relever une certaine sévérité des juridictions qui sont exigeantes sur les preuves de ce non-respect du droit à la déconnexion.

Ainsi, la Cour d’appel d’Agen dans un arrêt du 27 juillet 2021 – Cour d’appel, ch. sociale – 20_00570, reproche au salarié de ne pas prouver une connexion permanente :

« Sur la demande de dommages intérêts pour non respect du droit à la déconnexion et du droit au repos hebdomadaire

Pour justifier cette demande, M. Z invoque le fait qu’il devait rester connecté pendant deux semaines consécutives compte tenu des week ends astreinte et se trouvait privé de son droit au repos hebdomadaire de ce fait.

Force est de constater que M. Z, qui sollicite et obtient la rémunération de la contrepartie due par son employeur en raison des astreintes qu’il effectuait ne peut en outre réclamer des dommages intérêts pour avoir dû rester connecté pendant ces week ends astreinte, ce qui correspond au principe même de l’astreinte, ou pour ne pas avoir bénéficié de ses repos hebdomadaires du fait de ces astreintes, alors même qu’il résulte des relevés « assistance » pour les années 2017 et 2018 qu’il n’a été que très peu dérangé pendant ces week ends d’astreinte et que, là encore, il se voit allouer par la présente décision la rémunération de ces astreintes.

  • Z ne rapportant pas en outre la preuve du préjudice qu’il aurait subi, se contentant d’alléguer sans en justifier de conditions de travail difficiles, sa demande de dommages intérêts ne peut qu’être rejetée. »

 

Ou encore la Cour d’appel de Riom dans un arrêt  du 01 mars 2022 – Cour d’appel, ch. civile 04 SOCIALE – 19_01922 a considéré que le salarié ne démontrait pas que c’est l’employeur qui exigeait une absence de déconnexion de sa part :

« S’agissant du droit à la déconnexion , Madame R B produit quelques textos et courriels pour soutenir qu’elle a dû travailler en dehors des horaires contractuels de travail, y compris à son domicile, parfois même le dimanche.

À la lecture de ces pièces, il apparaît que seule Madame R B est à l’initiative de ces activités réalisées ponctuellement en dehors du temps contractuel de travail. Elle n’est jamais sollicitée dans ce cadre par son employeur mais décide, de sa propre initiative, de réaliser certains travaux, ou de contacter son employeur, en dehors de ses heures de présence au cabinet dentaire. Lorsqu’il est contacté par la salariée en dehors du cabinet dentaire et pour des raisons professionnelles, ce qui apparaît exceptionnel, Monsieur G K J ne fait que répondre, de façon laconique, aux questions ou sollicitations de Madame R B, sans la contraindre ni même l’encourager ou la relancer s’agissant de ces activités réalisées ponctuellement en dehors du temps contractuel de travail.

Il n’est donc nullement établi que Monsieur G K J ait porté atteinte au droit à la déconnexion de Madame R B ou à la vie personnelle (et familiale) de la salariée, ou même manqué à son obligation de sécurité dans le cadre des travaux effectués par l’intimée en dehors des horaires contractuels de travail.

Madame R B, qui échoue à rapporter une preuve qui lui incombe, sera déboutée de sa demande de dommages intérêts pour non respect de son droit à la déconnexion . Le jugement déféré sera infirmé de ce chef. »

La Cour d’appel de Nancy , dans un arrêt du 09 septembre 2021 – Cour d’appel, ch. sociale sect. 02 – 19_03058 a considéré également que les mails envoyés par un employeur le dimanche, ne constituait pas un non-respect du droit à la déconnexion de la salariée, ces mails ne précisant que la feuille de route pour la semaine.

En conclusion.

Le législateur a introduit un droit à la déconnexion léger , sa mise en œuvre n’est pas contraignante pour les employeurs un peu comme le télétravail lorsque le taux d’incidence du covid était très fort.

Les juridictions quant à elles sont très soucieuses des preuves apportées par le salarié, il faudra bien démontrer que ce droit à la déconnexion n’a pas été respecté par l’employeur.

Si le salarié se connecte sans cesse, en toute conscience professionnelle, l’employeur qui a mis en place une charte de déconnexion argumentera en disant « c’est de la faute du salarié »

On sait que les cadres subissent une telle pression du chiffre, de la performance que c’est bien le management de l’employeur et ces exigences qui les poussent à toujours être connectés quitte à se brûler et à faire un burn out.

On peut regretter que ce droit à la déconnexion ne soit pas plus souvent sanctionné par les juridictions qui devraient en cette matière s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la preuve des heures supplémentaires et faciliter la preuve du salarié de ce non-respect qui a mis sa santé en danger ou l’a rendu malade.